[selon l’association française du poisson rouge, le poisson rouge est fait pour vivre « en bande » entre 20 et 30 ans et peut atteindre 20 cm.. le bocal a atrophié l’espèce, en a accéléré la mortalité et détruit la sociabilité. p 167]
Bruno PATINO, La civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l’attention,Grasset, 2019
Quand on lit ce genre de livre, on est forcément amené vers cette « voix qui crie dans le désert »… Adolescents, vous nous donnez un modèle de vie ! Nous, soi-disant adultes, savons parfaitement dire quelles sont nos erreurs sans avoir le moindre geste pour ne plus les commettre !!! Nous savons pertinemment depuis Rousseau que sans régulateur, le libéralisme ressemble à la loi de la jungle : qu’importe les victimes pourvu qu’au seuil de ma porte je puisse faire ce que je veux. Nous savons pertinemment que les intérêts des grands actionnaires sont contradictoires avec les nécessités humaines ; qu’importe, tant que les actionnaires me permettent d’avoir du fric ou de la technologie, tout est bon, y compris l’esclavage de gens que je ne connais pas, tant que je reste un bon démocrate ! Le sujet du bouquin est un peu dans cette veine.. Il permet de brasser toutes les conneries qu’on a laissé installer au bout de nos doigts, ces superbes machines qui semblent nous rendre service et qui, pour le coup, nous maintiennent en esclavage… Je retiens quelques éléments…
« Une étude du Journal of social and clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d’exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d’Internet au delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale » p 16
« L’économie de l’attention détruit peu à peu tous nos repères. Notre rapport aux médias, à l’espace public, au savoir, à la vérité, à l’information, rien ne lui échappe.
Le dérèglement de l’information, les « fausses nouvelles », l’hystérisation de la conversation publique et la suspicion généralisée ne sont pas le produit d’un déterminisme technologique. Pas plus qu’ils ne résultent d’une perte de repères culturels des communautés humaines. L’effondrement de l’information est la conséquence première du régime économique choisi par les géants de l’Internet.
Le marché de l’attention forge la société de toutes les fatigues, informationnelles, démocratiques. Il fait s’éteindre les lumières philosophiques au profit des signaux numériques. » p 17
un peu de vocabulaire….
no mobile phone phobia => nomophobie, pour désigner la peur panique face à l’éloignement même éphémère de son portable…
phnubbing : consultation ostensible de son smartphone en compagnie alors même qu’on nous adresse la parole.
athazagoraphobie : peur d’être oublié par ses pairs….
à partir de la p 29, Patino reprend des expériences en science du comportement faites dans les années 1930 sur des rongeurs… Quand une souris est mise dans une boîte équipée d’un bouton qui lui permet de faire tomber de la nourriture de manière régulière, on s’aperçoit que le rongeur se régule et n’utilise le bouton que lorsqu’il a faim. En revanche si la quantité de nourriture délivrée est aléatoire, le rongeur se met à pousser le bouton constamment, même s’il est rassasié. Les systèmes à récompense aléatoire, loin de faire naître la distance ou le découragement, jouent sur l’incertitude qui produit une compulsion qui se transforme en addiction. L’appât du gain, même minuscule, empêche tout éloignement face au mécanisme… Avant d’être utilisé par les grandes plateformes du numérique, ce système a été appliqué dans les casinos et toutes sortes de jeux dits de hasard…
« sur Netflix, l’ergonomie du site tout comme certaines séries spécialement écrites pour la plate-forme sont fondées sur la théorie de la complétude afin de passer de l’habitude à l’addiction. Ce qui compte ce n’est pas la qualité de la série mais la frustration liée au visionnage incomplet. L’enchaînement des vidéos vise à ne pas interrompre la dépendance par d’autres sollicitations… » p.36-37
Décidément, nous vivons dans un monde de belles libertés !!!!
p 63 « .. peur sociale de rater l’immanquable alors même que les proches, les « amis » ou les connaissances y auront accès. Cette anxiété, qui va de pair avec la crainte d’être exclu par ignorance, est désignée par l’acronyme FoMO pour FEAR OF MISSING OUT »
p 64 : « La civilisation numérique est fondée sur les données, leur collecte et leur utilisation.Le capitalisme numérique sera un data-capitalisme. Les données personnelles ont souvent été comparées au pétrole de cette économie à venir (…) Mais dans sa forme initiale, brute, sans contrôle, l’utilisation de ce pétrole s’est faite dans une seule et même direction : comprendre les comportements pour mieux les prévoir, voire les influences. Avec deux objectifs qui sont comme les deux faces d’une même pièce : la surveillance pour les ordres autoritaires, et la captation du temps pour l’économie libérale de l’attention. »
p. 71 « Le maintien en alerte par des notifications folles est devenu permanent. A l’alerte qui signalait un événement majeur s’est ajoutée celle de l’événement mineur puis de l’événement virtuel, qui aurait pu avoir lieu, et enfin de l’absence d’événement. Il en est de même sur les réseaux sociaux, qui sont passés du signal pour annoncer l’activité sociale des amis à l’alerte pour souligner l’absence d’activité. Dans la quête de l’attention, il n’y a pas de limite possible. »
p. 79 « Pour ceux qui fournissent l’information, les plates-formes sont devenues de faux-monnayeurs. A mesure que les géants du Web faisaient croître l’audience des médias, la valeur relative de cette audience diminuait. Pour une raison simple : dans l’univers numérique, l’espace publicitaire à vendre est illimité. Il y a donc une tendance permanente à la baisse des prix. »
p 82 « Chaque contenu est désormais traité comme s’il était publicitaire »
p 86 « En 2018, les 24 heures d’un citoyen américain durent un peu plus de 30 heures. Le sommeil absorbe 7 heures d’une journée, la nourriture, le ménage, la vie sociale, un temps similaire, 6h55, et le travail 5h13. A cès 19h08 minutes s’ajoutent 12h04 par jour consacrées aux écrans, aux médias et au numérique. Une moitié de vie. Une moitié de vie commercialisable. Une moitié de vie commercialisée. »
p 89 « Le désir n’a plus le temps de se construire. Et si par hasard il se précise et s’exprime, il arrive toujours trop tard : des centaines de stimuli nous ont assaillis et ont exigé une réponse. Rassasiés avant d’avoir eu faim, nous le sommes par une nourriture que nous n’avons même pas eu le temps de humer et de goûter. »
Vous trouverez dans la dernière partie des solutions pour remédier à cela.. p 152 : »Lutter contre la domination de l’économie de l’attention qui nous plonge dans l’addiction n’est pas un refus de la société numérique. C’est au contraire la réinstaller dans un projet porteur d’utopies, et réinstaurer une perspective de long terme sur le cauchemar de court terme. »..
Ah ! c’est vrai… Vous risquez de ne pas accrocher car dans cette phrase apparaît le mot « utopie », mot forcément exclu du langage bien châtié de nos sociétés intellectuelles au prétexte que 1 – l’utopie n’existe pas, l’étymologie signifiant « sans-lieu » et 2 – les dernières utopies ont fait des millions de morts lors de la dernière guerre mondiale, entre autres… Ok ! laissez condamner l’utopie qui est associée à l’image de l’extrême gauche, donc qui fait peur dans les chaumières conservatrices… Ok ! Laissez tomber.. Et regarder ce qui fait avancer l’humain.. L’argent ? C’est l’argent qui permet les découvertes ? C’est l’argent qui motive l’investissement personnel ? Alors comment vous expliquez la maternité ? Le bénévolat ? l’amitié ? la bienveillance ? L’utopie a toujours fait avancer l’humain, même si, comme toute chose humaine, l’excès d’utopie a provoqué des drames… Sans l’attrait de quelque chose qui paraît complètement fou et inédit, il n’y aurait pas eu Colomb ni Neil Armstrong… Et vous n’auriez jamais tenté de vous mettre sur vos deux jambes !!!