Peut-on aller vite en besogne….
Léon Gambetta disait en 1872 » Rien a tenter, rien a espérer, rien a fonder, rien a tirer de la démocratie et du suffrage universel sans une éducation distribuée a pleine main » Le Havre, 18 avril 1872….
Pourquoi l’école ?
Pour éduquer tout le monde ? Non !
Pour donner sa chance à tout le monde ? Bof !
Pour inculquer la même chose à tout le monde ? On se rapproche …. (mais le « quelque chose » qui est « inculqué »c-a-d enfoncé à coup de talon, ce n’est pas l’intelligence mais plutôt la soumission à la majorité et la culture de la débrouille…)
Diffuser les savoirs , pour un Etat c’est avoir des citoyens mieux formés… Source d’emmerdements, on le sait bien en France. Source de richesse pour le pays, on a l’air de l’ignorer au pays de Descartes ! Ce beau pays qui, manifestement est toujours un pays d’aristos : je dois toujours être moi au dessus.. Ceux qui accepte d’être parmi d’autres ne sont que des manants du Tiers Etat… Donc l’enseignement c’est pareil : je dois réussir au delà, au dessus des autres… Et la culture est dirigée par ces gens-là qui s’estiment bien au dessus du vulgum pecus… On a le Bac avec mention, de toute façon, ça ne vaut plus rien… Il FAUT intégrer une prépa sinon on retombe à la Fac lieu de perdition car c’est là qu’on forme les profs…. Il FAUT intégrer une parisienne, histoire d’être loin des bouseux…. Avec cette mentalité des élites, pas étonnant que la cause éducative n’avance pas ! On a un système éducatif bidon, qui n’a plus d’armes, ni de considération. Pour redresser la pente, je ne connais pas les solutions, mais en tout cas, elles ne seront pas simples ni à trouver, ni à appliquer !
Oui on parle beaucoup d’enseignement dans notre pays, tout le monde y est passé.. Mais il s’agit toujours de critiquer les profs, les élèves, les parents, les ministres.. Jamais de changer la donne, jamais de mettre plus d’enseignants devant moins d’élèves.. La logique appliquée est même à l’inverse : toujours moins d’enseignants devant plus d’élèves…. et utilise les machines, ça te permet de gérer.. Donc de ne pas faire ton boulot, mais ça on s’en fout !
Toujours plus d’élèves en réussite, c’est tout ! Je traduis.. « réussir » ça veut dire avoir de bonnes notes, c’est tout ! En fait , je peux mettre 20 à tout le monde et on dira que mes élèves réussissent… Yes !
La méthode scolaire, soyons clair, c’est l’anti-intelligence, mais ce n’est pas d’hier.. Mais aujourd’hui on arrive à faire des machines qui simulent l’intelligence comme des générations de jeunes l’ont fait et le font encore… « Comprendre » c’est « se saisir ».. Donc celui qui apprend par coeur ne se saisit pas, mais quand il va réciter, il feindra l’intelligence… Comme GPT !
L’arrivée du débat sur chat GPT va nous permettre de casser tout ça… Si le marché nous donne de l’intelligence à vendre, que va-t-on faire à l’école ?.. Que les pédago-démagos se rengorgent, nous, les profs, nous ne sommes désormais que des assistants de garderie, sans le côté sympa d’avoir de tout petits êtres innocents et balbutiants comme les vrais assistants de garderie !!!!
Voilà des siècles que nous apprenons à nos élèves à feindre l’intelligence en appliquant des méthodes.. L’éducation par objectifs, avec ses fiches méthodes, ses savoirs et savoir-faire, et savoir-être.. Balancez tout ça ! Les machines sont là ! Hourra ! Maintenant ce sont les machines qui vont apprendre cela, comme on passe le code de la route.. Bip ! Essaye encore !
Le seul enseignement qui soit un tantinet efficace, tous les profs vous le diront, c’est un échange entre deux êtres humains.. Le reste vous pouvez mettre à la benne.. La classe, l’école, les groupes, le collectif, tout ça vous pouvez balancer. La classe et le groupe ont des dynamiques et des fonctionnements qui parasitent la réflexion. Ensuite la discussion est bien entendu formatrice, mais le prof n’est pas nécessaire.. Sans doute pour faire 25 exercices de math ou de physique peut on se permettre d’être à plusieurs, mais se saisir d’une réflexion en philo ou en histoire, s’exercer à parler une langue, ça ne se fait pas en groupe…
Les méthodes sont là pour faire le lien entre l’intelligence visée et la pratique de groupe. Applique la méthode ça marche tout seul.. Bof ! Que fait on avec la méthode, on reproduit… Donc on simule sans stimuler ! On ne réfléchit pas, on fait semblant puisqu’au lieu de chercher et de suivre l’intelligence, on suit un protocole… Quand un chirurgien opère, il vaut mieux qu’il suive le protocole. Quand un philosophe travaille, quand un historien cherche, le respect des protocoles n’amène pas à l’innovation mais à la reproduction de ce qui a été déjà dit, finesse ou sottise, selon grosseur…
L’école est un grand centre de tri… Celui qui a de la jugeotte, quelle que soit son intelligence et son milieu social, s’en sortira.. Mais quand on est Teubé, on est Teubé… enfant de ministre ou enfant de chômeur… (la suite vous la connaissez; l’enfant de ministre a du fric et s’en sort, là où l’enfant de chômeur n’a que la rue…)
Inversement la massification de l’enseignement donne à tous des possibilités… Mais seulement des possibilités, c’est-à-dire des perches tendues…. Certains ont réussi à les prendre et grandir avec, quelles que soient leurs origines, issus de l’aristocratie ou de l’immigration… Mais on est bien d’accord que du côté des élèves, il y a tous les cas, du grand Duduche bobo et idiot au fils de primo-arrivant dont l’intelligence perce les yeux embués de pleurs.. Mais côté adulte, même combat : l’ancien premier de classe avec son agrégation, bien installé, qui ne comprend rien à l’adolescence parce qu’il n’en a pas eu, et fait régner la dictature humiliante dans son Lebensraum, la prof trop cool, branchée actualité, qui sait parler à tout le monde etc…. Aujourd’hui se rajoute ce super système qui rend obligatoire d’un côté l’embauche rapide de personnel d’éducation qui font des fautes d’orthographe, et d’un autre, le harcèlement de jeunes diplômés qui doivent déjà apprendre leur métier sur le tas mais malgré tout rendre des compte à ceux qui ne les ont pas formés !!!
Oui, notre modèle s’épuise. N’étant pas révolutionnaire , je ne vous proposerais pas une remise en cause totalitaire du système, trop vieux pour ça. En revanche, revenir au fondement de notre activité de prof : multiplier l’individuel ou le tout petit groupe. L’échange est le seul moment humain de notre métier et si on l’oublie on laisse les machines faire.. Parce que vous savez qu’à force de faire des grilles, on ne fait que préparer le règne de la modélisation, donc de la mécanisation. Et l’échange que tu vas avoir avec ton élève n’est pas l’échange qu’il aura avec chat GPT…
Retrouver le sens… Retrouver l’essence… Ce ne sont pas que des sons qui rebondissent… Le sens et l’essence de nos vies, de nos actions, c’est quand même ce qui reste de notre humanité une fois qu’on a enlevé tout ce qui fait du bien sans nous faire grandir : le confort, la consommation, le pouvoir, la technique … Redevenons humains c’est urgent….
Et le sens et l’essence de mon métier il sont dans ce texte là de Montaigne et personne ne me l’a donné lors de ma formation…
Michel de Montaigne, 1533 – 1592, extrait « De l’institution des enfants » ( Essais liv I ch 26 )
Je voudrais aussi qu’on fut soigneux de lui choisir (à l’enfant) un conducteur (=prof)qui
eût plutôt la tête bien faite que bien pleine, et qu’on y requît tous les deux, mais plus les mœurs
et l’entendement que la science, et qu’il se conduisit en sa charge d’une nouvelle manière .
On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre
charge, ce n’est que redire ce qu’on nous a dit .
Je voudrais qu’il corrigeât cette partie, et que, (…) selon la portée de l’âme qu’il a en main,
il commençât à [lui faire] goûter les choses, les choisir et discerner d’elle même : quelquefois
lui ouvrant chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir . Je ne veux pas qu’il invente et parle seul,
je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour (…)
Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son train et juger jusqu’à quel point
il se doit ravaler pour s’accommoder à sa force . A faute de cette proposition nous gâtons tout :
et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurément, c’est l’une des plus ardues besognes
que je sache ; et est l’effet d’une haute âme et bien forte, savoir condescendre à ses allures
puériles et les guider . Je marche plus sûr et plus ferme à mont qu’à val. (…)
Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens de la
substance, et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de
sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et accommoder à
autant de divers sujets, pour voir, s’il l’a encore bien pris et bien fait sien, prenant l’instruction
de son progrès des « Pédagogismes » de Platon . C’est témoignage de crudité et indigestion
que de regorger la viande comme on l’a avalée . L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait
changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire.
Savoir par cœur n’est pas savoir.