estime de soi ou narcissisme

Extraits d’un entretien de Christophe André… Nécessaire pour tout le monde, jeunes, vieux, parents, profs, enfants..  Enjoy !

Dans une société à la fois plus sûre mais aussi plus insécurisante, envahie de « pollutions psychologiques » et dans laquelle il faut en permanence « faire ses preuves », l’estime de soi bien comprise nécessite un travail de maintenance régulier. Pour entretenir notre estime de nous-mêmes, apprenons à quitter nos questionnements intérieurs et cherchons à l’extérieur de nous : dans la gratitude, la conscience de notre dépendance aux autres ou encore l’admiration. Pour ne pas se laisser submerger par nous-mêmes et réajuster le cap.
(…) Après 25 ans de travail sur cette notion, j’essaye d’expliquer que ce travail sur l’estime de soi doit pousser vers les autres, et les questions sur soi-même doivent cesser. Car je suis frappé aujourd’hui par le dérapage de notre société vers le narcissisme en raison d’une estime de soi mal comprise.
Le narcissisme est une haute estime de soi, accompagnée du besoin d’être supérieur aux autres et du sentiment d’avoir des droits supérieurs : un narcissique pensera que, dans une discussion, il est normal de parler davantage que les autres, car il se considère plus intéressant, ou encore de ne pas respecter le Code de la route parce qu’il est meilleur conducteur, ou de passer devant tout le monde dans une file car son temps est plus précieux…    Au contraire, lorsque j’ai une bonne estime de moi, je suis satisfait de mes qualités, mais cela ne m’intéresse pas de dominer, je respecte les autres car je sais aussi ce que je leur dois. Une personne dotée d’une bonne estime d’elle-même est humble, dans le sens où elle ne se veut pas supérieure aux autres mais elle ne se sent pas pour autant inférieure.
Cela s’explique sûrement par beaucoup d’évolutions sociales, j’en identifie pour ma part trois. D’abord certaines dérives éducatives, avec une éducation positive mal comprise, illustrées par le débat entre Caroline Goldman et Isabelle Filliozat. Une génération entière de parents a cru bien faire en confondant amour inconditionnel (que les parents doivent manifester) et approbation inconditionnelle, c’est-à-dire un refus de voir les failles de son enfant. Si celui-ci est en échec scolaire par exemple, la faute sera rejetée sur l’institutrice ou l’Éducation nationale. Or en valorisant trop leur enfant, ces parents ont fabriqué des « enfants tyrans » qui deviennent des adultes narcissiques et posent problème.
Deuxième évolution néfaste, les dérives du consumérisme, aujourd’hui à son apogée, qui repose sur une stratégie diablement intelligente consistant à exploiter des besoins humains profonds (comme le désir d’être admiré, valorisé, reconnu) et à proposer comme réponses, qui se révèlent illusoires, l’achat et la possession.
Enfin, troisième tendance de fond : l’arrivée des réseaux sociaux qui représentent une catastrophe d’écologie psychologique dont nous commençons tout juste à prendre conscience. Eux aussi exploitent habilement nos besoins fondamentaux et inévitables – par exemple celui de se comparer aux autres – pour nous proposer une solution illusoire. En effet, contrairement à un groupe humain où nous nous comparons à des personnes réelles dont nous voyons aussi les « mauvais côtés » (celui-ci a réussi professionnellement mais il est malheureux en amour), sur les réseaux sociaux on ne voit que leurs aspects parfaits.
(…)
Cela crée une insatisfaction et une angoisse, calamiteuses pour l’estime de soi. Comme solution, ces mêmes réseaux poussent à parader et à se montrer également sous mon meilleur jour, encourageant une estime de soi narcissique qui repose sur un mensonge.
En bref, d’un côté notre société de la compétition nous insécurise, et de l’autre nous propose des solutions narcissiques aux problèmes d’estime de soi qu’elle-même a créés.
(…)
Pourtant, l’estime de soi, de la même manière que la santé physique, n’est qu’un outil pour vivre et célébrer la vie. Il faut faire le travail d’être en paix avec soi, de s’estimer, puis il est temps de célébrer la vie et de me tourner vers les autres. Plus vous progressez dans l’estime de vous-mêmes, moins vous pensez à vous. C’est un paradoxe : le silence de l’ego est le meilleur signal d’une bonne estime de soi.

A lire :  Christophe André, S’estimer et s’oublier (Odile Jacob), 2023

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