Voilà quelques notes de lecture dans l’ouvrage de Chloé Morin « Le populisme au secours de la démocratie ? », Gallimard, Le débat, 2021.. Quelques passages piqués en gros au milieu du livre, pour montrer le développement de l’argumentaire. J’ai laissé de côté ce qui me paraissait de l’ordre de l’illustration pour ne garder que les grands traits de l’argumentation, les grandes étapes… Une analyse qui me paraît intéressante, à discuter, toujours !
Débat, communauté démocratique et essentialisation
p 95 « Le drame de la période actuelle est que face aux forces de dispersion et de désagrégation de la communauté nationale que représentent les identités nouvelles ou « tribus », nul ne semble plus savoir comment créer du « nous » dans recourir à l’artifice de l’essentialisation et de la désignation d’adversaires ou de boucs émissaires. »
p 100 « La démocratie ne s’est pas construite, loin s’en faut, sur l’idée de consensus ou d’homogénéisation sociale, politique et culturelle. Dans une société du « même », nul besoin d’institutions délibératives pour mettre tout le monde d’accord, puisque les intérêts de chaque individu sont les mêmes. Dans une société homogène, il n’est pas besoin de canaliser les aspirations et les colères, de pacifier les antagonismes de classe, de religion, ou d’orientations idéologiques. La démocratie sert précisément à organiser la coexistence d’individus dont les intérêts divergent. »
p 104 « Nos institutions sont construites pour gérer une société plurielle, composée de groupes et d’intérêts divergents. »
p 105 « Tout différence, tout clivage n’est pas une menace en soi pour la démocratie. Au contraire, ils en sont bien souvent le carburant lorsqu’ils trouvent à s’exprimer de manière raisonnée dans le cadre de nos institutions. (…) le conflit politique suppose l’existence d’un pluralisme, d’une multiplicité de points de vue et d’intérêts. Mais deux avis qui s’opposent ne suffisent pas à constituer un conflit : deux individus en désaccord peuvent se contenter d’acter leur dissensus ou pire, de s’ignorer, renonçant par là à »faire société ». Le passage de cette divergence à l’affrontement suppose de reconnaître son interlocuteur comme un adversaire avec qui engager un débat ou un rapport de force »
p 106 « Dans un monde perçu comme de plus en plus menaçant (…), mais aussi de plus en plus complexe, où il devient de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux, l’ami de l’ennemi, la recherche d’un groupe d’appartenance, d’une communauté dont on partage les valeurs et les codes, et dont on attend une reconnaissance sociale, est un réflexe primaire. »
p 107 « de fait les exemples sont nombreux où le conflit est entretenu pour lui-même, pour cimenter un groupe, qui ne cherche pas à le dépasser puisqu’il y trouve indirectement une raison d’être. De plus en plus nos débats politiques tournent en rond (…) non pas parce que les gens seraient devenus moins intelligents ou qu’ils ne pourraient pas partager d’opinions sur tel ou tel sujet, mais bien plutôt parce que le débat ne sert pas à cheminer vers un compromis : il sert une fonction instituante pour l’individu ou le groupe dans la société. »
p 108 « … l’essentialisation remplace l’argumentation »
A propos des propos de M Valls sur les Roms en 2013 sur l’impossibilité de les intégrer en arguant des modes de vie trop différents des « nôtres » : « Sous couvert de tenir un « langage de vérité », il sort là du cadre du débat « de fond » (à quelles conditions et comment intégrer les individus qui arrivent sur notre territoire) pour se placer dans un cadre où sa résolution n’est plus possible : dès lors que deux « modes de vie » s’affrontent, c’est l’existence même de chaque groupe qui est en jeu. » p 109.
p 110 « Il ne s’agit pas de critiquer tel ou tel responsable politique de remettre en question telle ou telle orientation idéologique : tous les responsables politiques, sans exception, ont eu un jour recours à la dynamique identitaire pour construire des dynamiques d’opinion. Le problème est que, de plus en plus, ces dynamiques consolident des identités qui enferment, assignent et transforment l’adversaire en ennemi, et le débat en lutte à mort pour la survie du « groupe ». »
p 111 « … les modèles parentaux (« père fort », mère nourricière ») influencent notre rapport à l’autorité et au conservatisme politique (…) plus le style parental d’un individu est strict, plus il est enclin à percevoir les faits et les autres avec hostilité et à défendre des politiques de fermeture ou de fermeté. Par exemple, les répondants (à l’enquête menée dans le cadre de travaux de psychologie…) qui présentent un style parental strict sont 68% à estimer que l’identité de la France est en train de disparaître, soit 24 points de plus que ceux qui ont un mode de parentalité permissif. De même les premiers sont 67% à estimer que la France devrait fermer ses frontières aux migrants, soit 30 points de plus que les autres ».
p 112 « Le revers de la désignation de boucs émissaires est l’auto-désignation de « victimes ». (…) Comment construire du compromis quand on rejette absolument sa propre responsabilité ? Comment se réconcilier quand l’autre devient la source de tous nos maux, voire une menace existentielle ? »
p 113 « Pendant la catastrophe sanitaire du coronavirus, on a également pu observer une multitude de victimes autoproclamées. Comme nous sommes tous des victimes potentielles, la recherche de responsabilités est devenue une sorte de sport national sans que jamais nous nous interrogions sur nos responsabilités propres. (…) il ne se trouvait plus un seul Français pour assumer avoir voté pour les responsables politiques de tous bords* qui ont, depuis vingt ans, désarmé l’hôpital public. » *c’est moi qui souligne !..
p 114 « Dans une société où il y a seulement des victimes ou des bourreaux, la seule logique possible est celle du ressentiment, de la frustration, de la vengeance et de l’affrontement – rien de commun ne peut se construire, aucun lien ne peut être tissé, et aucun avenir commun ne peut être envisagé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des dynamiques politiques actuelles misent avant tout sur l’instrumentalisation de ces logiques victimaires : plutôt que de chercher à créer des élans par le rassemblement, le compromis et la projection dans un avenir commun, la plupart des programmes politiques reposent sur la désignation de victimes et de boucs émissaires. »