<<Une fois que le dictateur est parvenu à créer la barrière de peur, le modèle du « bon citoyen » fait son apparition dans la société. Ce sont les personnes ordinaires que l’on croise dans la rue. (…) Ils choisiront toujours la stabilité face à l’incertitude que causerait une tentative de changement politique. Ils préfèrent poursuivre leur existence sans faire de vagues quelles que soient l’injustice et l’iniquité dont ils sont victimes. Le bon citoyen vit dans l’absence d’espoir et la peur.(…) Le bon citoyen n’éprouve pas d’intérêt pour ce qui est extérieur au cadre des exigences de son existence quotidienne. Il a compris que tout ce qui se passe dans son pays est décidé uniquement par son chef d’État et que, s’il essayait de jouer un quelconque rôle dans les affaires publiques, cela n’y changerait rien et aurait pour seul effet d’attirer sur lui des catastrophes : l’emprisonnement, la torture, la mort. (…) Les bons citoyens ne comprennent pas plus la révolution qu’ils ne la souhaitent. Ils jettent sur elle un regard méfiant et sont les premiers à croire la propagande contre-révolutionnaire accusant les révolutionnaires de trahir le pays et de travailler pour des intérêts étrangers. En fait ils ont une profonde haine de la révolution, d’abord parce qu’ils ont perdu tout espoir que la justice puisse être instaurée, ou qu’un changement quelconque puisse survenir sans avoir été voulu par le chef de l’État, ensuite parce que, face aux actions de ces braves et héroïques révolutionnaires, ils ont honte d’eux mêmes. Ayant passé toute leur vie à obéir et à faire des courbettes devant l’autorité, ils sont devenus complètement dociles. (…) Les bons citoyens en Égypte n’éprouvent un sentiment d’appartenance que dans deux domaines : celui du football et celui de la religion. Dans le football, ils trouvent tout ce qui est absent dans leur vie quotidienne : de la justice et des règles unifiées appliquées à tous, de la transparence dans les décisions et un processus méritocratique. Pour ce qui est de la religion, ils l’interprètent de façon à ce qu’elle n’ait pas de signification révolutionnaire ni le moindre lien avec la justice ou la résistance à l’oppression. La religion en ce qui les concerne est un recueil de procédures comme celles de n’importe quelle grande entreprise, avec des échelons pour gagner la confiance de Dieu tels que, pour les musulmans, la prière, le port du voile, le don d’aumônes et la pratique de différents types de pèlerinage ou , pour les chrétiens, la messe le dimanche et les dons à l’Église. (…) Pour lui les rites de la religion sont les paiements réguliers d’une police d’assurance qu’il pourra, au moment de sa mort, récupérer en liquide à son entrée au paradis.(…) En 2007 des dizaines d’années après la mort (du dictateur portugais Salazar), un sondage d’opinion organisé par la télévision nationale pour savoir quel était le plus important personnage de l’histoire portugaise plaça Salazar au premier rang avec 41% des voix des téléspectateurs. (…) Le bon citoyen voit seulement le côté positif du dictateur : la sécurité, un travail garanti et stable, une vie sous l’aile d’un homme fort, paternaliste qui le protège contre les maux du monde.Le bon citoyen et le dictateur sont les deux faces d’une même pièce. >>
Alaa El Aswany, Le syndrome de la dictature, Actes sud, 2020, quelque part dans le chapitre 3….
Le cas étudié par l’auteur est celui de la société égyptienne, passée par le crible de plusieurs dictatures, y compris celle de Nasser, celle de Moubarak qui a été renversée par le printemps arabe.. et ce qu’il s’y passe depuis !!!!…
A méditer tranquillement pour faire mijoter dans vos esprits le cas des régimes totalitaires, de la France de Vichy, de la Hongrie d’Orban… Ou pourquoi pas celle de notre belle société démocratique dans laquelle nos décisions sont prémâchées par la mode et les médias… Et Peter Gabriel chante toujours « We do what we’re told » !
